La jeune fille taupe
On est injuste avec la taupe.
Il est exact qu’elle y voit peu, mais sa vision est fort bien adapté à
son milieu souterrain Son poils gris, lustré, distingué, est un parangon
d’élégance Et que dire de ses petites pattes en forme de pelles, qui joignent
l’utile à l’agréable ! Bref, dans cette histoire, il sera question d’une
demoiselle taupe : merveille, délice, miracle de la gent taupine. Ses
parents, justement fiers de leur progéniture, de situation aisée – ils
possédaient une propriété en plusieurs dédales de couloirs, fort bien situés,
songeaient à marier leur unique enfant à un personnage de qualité.
Qui choisir ? Sur le conseil d’un vieux monsieur taupin, qui avait
beaucoup voyagé au temps de sa jeunesse, ils pensèrent d’abord au soleil.
Celui-ci, quoique mal connu chez les taupes, était apprécié par certains
cousins de surface, qui en disaient grand bien. Mais on ne pouvait s’engager à
la légère, l’avenir de leur fille bien-aimée était en jeu. Aussi les parents
s’adressèrent-ils à une enquêteur patenté, afin d’obtenir de plus amples
informations sur le personnage. Après plusieurs semaines de recherche, le
détective fit son rapport :
« C’est assurément quelqu’un de très brillant !
-
Ah ! Firent les parents impressionnés.
-
- Mais un détail m’inquiète, ajouta le
détective. Un nuage suffit à le ternir, à l’occulter, et même à le faire
disparaitre.
-
-Si les nuages sont plus puissants que le
soleil, s’écrièrent les parents, nous voulons pour gendre un nuage. Allez, et
découvrez un nuage de haut rang pour notre chère enfant ! »
L’enquêteur repartit, fit la tournée
des nuées. Il chercha longtemps, examina de près cirrus, cumulus, stratus et
nimbus, enfin il repéra un jeune homme nuage, bel et bien fait, tout vêtu de
blanc avec une frange de gris, très élégant. Il s’apprêtait à lui communiquer
la flatteuse proposition des parents de la jeune fille quand survint un brusque
coup de vent, qui coupa en deux l’élégant, le dispersa, l’émietta, le réduit à
néant. Il revint, découragé à la taupinière.
« Bien, admirent les
parents, nous nous sommes laissé égarer par les apparences, le vent est donc le
gendre qu’il nous faut absolument ! »
Le vent. Mais quel vent ?
Le mistral, le sirocco, le vent d’autan ? L’harmattan, le chinook, le
zéphyr, le chergui des hauts plateaux d’Algérie, le bora qui souffle sur les
îles heureuses, le vent d’ouest porteur de pluie, le suroît, le foehn, la
tramontane ou l’aquilon ? Le détective en attrapait le tournis, quand il
remarqua un vent d’est, jeune et affuté, qui s’acharnait avec une belle vigueur
contre un mur de terre. Il s’approcha, intéressé, le vent soufflait, à perdre
son haleine, et il soufflait, et il soufflait…
« Tu peux toujours
s’échiner ! disait le mur goguenard, tu ne m’ébranleras pas, je suis plus
fort que toi ! »
Incroyable ! pensa
l’enquêteur, ce mur de terre résiste, et le vent s’épuise en vain contre lui.
Je vais devoir réviser mon jugement, ce n’est pas le vent le plus puissant.
Inutile que je fasse le voyage jusqu’à la taupinière, je sais bien ce que me
diront les parents : entamez des négociations avec ce mur inébranlable,
qui se moque du soleil, des nuages et du
vent.
Les pourparlers commencèrent.
Ils étaient en bonne voie quand le détective s’aperçut que son interlocuteur
s’effritait sous ses yeux0 Il s’éboulait par pans entiers, se délitait, se crevassait,
enfin s’écroulait, miné de l’intérieur par une monstrueuse mégapole taupine.
Que croyez-vous qu’il
arriva ?
C’est un jeune homme taupe que
la jeune fille taupe épousa.
« A quoi sert de courir le
monde ? dit le maitre zen. Ce que vous poursuivez avec tant d’ardeur et de
zèle est là, déjà. C’est en vous que se trouve la nature du Bouddha. »
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